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PALESTINE

Des Palestiniennes témoignent : ça ne peut plus durer

Mercredi 13 juin 2007

Entretien avec Samar Awach, coordinatrice du PWWSD (Palestinian Working Woman Society for Development, ou Société de la Femme Active Palestinienne). Ex-conseillère municipale de Naplouse, elle est membre du Conseil national palestinien et de sa commission internationale des femmes. Elle répond aux questions de Pierrette Iselin, membre de la « mission femmes » qui revient des territoires occupés.

Peux-tu nous dire à quels problèmes vous devez faire face aujourd’hui, avec l’aggravation de l’occupation ?

La situation empire de jour en jour. Nous avons de tels problèmes aux niveaux national et local que notre travail quotidien pour la lutte des droits des femmes est fortement compromis.

Ici à Naplouse, par exemple, beaucoup d’entreprises ferment. Le chômage a pris une pente ascendante et dépasse la moyenne nationale : 67% des travailleurs et travailleuses sont au chômage et il n’y a plus que 13 % des femmes qui travaillent. Cette situation est encore aggravée par les multiples obstacles de l’occupation.

Si le mari est arrêté, la femme se trouve confrontée à de multiples responsabilités, en plus des difficultés habituelles. À la peine et aux soucis dus à l’occupation s’ajoutent de nombreuses démarches et la préoccupation de sa survie et de celle de ses enfants. Si le mari est assassiné, c’est pire encore. Elle devient cheffe de famille, pratiquement dénuée de tout moyen de subsistance, sans aucun soutien social. Je te donne un chiffre : lors de la première Intifada (dans les années 90), le nombre de femmes cheffes de famille était de 7,8%, mais actuellement il s’élève à 18 %. La précarité du travail s’étend et tu vois de plus en plus de femmes de la campagne et de la ville qui travaillent dans le secteur informel.

Cette pauvreté est-elle un facteur de régression ?

Absolument et nous subissons de plein fouet les sanctions imposées par la communauté internationale. Cette punition est un véritable calvaire pour les femmes. Dans une ville comme Naplouse, par exemple, les blocages et les restrictions rendent la situation intenable.

Peux-tu me donner des exemples ?

En venant de Tulkarem, tu as passé le check-point de Beit Iba. Heureusement, il était ouvert. Mais le jour précédent, il était fermé pendant toute la journée et c’est courant. Après une prétendue alerte de sécurité, des civils peuvent voir leur passage retardé durant des heures. Les femmes avec leurs enfants, les femmes enceintes, les femmes âgées sont bloquées avec le reste de la population devant des check-points qui restent désespérément fermés et toute activité est ainsi impossible. En plus de la souffrance de l’attente, sans pouvoir faire de projets pour la journée, elles ne peuvent pas compter sur l’espoir d’un gain même minime ou d’une solution pour leur famille. [1]

Comment développer des organisations qui puissent défendre les droits des femmes et leur assurer un minimum vital ?

Notre association, le PWWSD, l’association des femmes travailleuses, a toujours eu comme but de se battre à plusieurs niveaux : tout un travail est développé pour le programme d’éducation civique afin renforcer le rôle de la femme dans la société. On mène aussi une action qui vise à la formation des familles, en lien avec des associations caritatives. Nous organisons également un groupe de pression qui travaille au niveau parlementaire. Ce comité recueille les avis des gens pour changer la vision des femmes à l’échelon décisionnel du parlement. (Au Parlement national, sur 132 membres, il y a 17 femmes élues dont 8 du Fatah, 6 du Hamas et 3 indépendantes).

Sur le sujet de la femme réfugiée, par exemple, nous essayons de mettre en relation le parlement et les femmes. Dans le camp de réfugiés de Balata à Naplouse, on organise des réunions avec les femmes et les responsables du camp. Et l’on envisage des solutions pour le quotidien des femmes dans le camp. Sur la question des mariages précoces, nous travaillons avec un avocat qui organise des réunions avec toutes les parties concernées. Grâce à ces rencontres, nous avons pu faire des propositions pour changer la loi au niveau national. Nous avons proposé de fixer l’âge minimum du mariage à 18 ans.

Il existe aussi un projet d’aide d’urgence pour les familles touchées par les crimes de l’occupation. Tous les jours, il y a des destructions de maisons opérées par l’armée israélienne. L’armée arrive avec ses chiens, pour détecter les explosifs, évacuer tous les habitants et fait exploser la maison. Dans le camp de Balata, où les maisons s’appuient les unes aux autres, une telle explosion a des conséquences irrémédiables. Les habitants ne sont pratiquement pas protégés. Nous venons en aide à ces familles. Mais jusque-là, seuls les hommes avaient accès à ces subventions. Nous avons obtenu que les femmes reçoivent aussi ce secours pendant trois mois.

À Naplouse, tu as pu constater aussi la montée de l’insécurité. Il y a de plus en plus de cambriolages, de voitures volées, d’effractions de bijouteries. Les bandes rivales maffieuses se développent de plus en plus et les simples passants peuvent recevoir des coups de feu en plein jour, en se promenant. Nous avons constitué un comité de femmes sur ces questions et nous avons des propositions pour trouver des solutions à ce chaos grandissant.

Comment vous accommodez-vous de la montée du Hamas, qui en soi, n’est pas vraiment un mouvement progressiste pour les femmes ?

Il faut déjà dire une chose : la victoire du Hamas est issue d’un choix démocratique. Notre but est de contribuer à reconstruire l’unité nationale entre les divers partis. Le Hamas fait partie de notre société. Cela peut expliquer que 60 % des femmes votent au niveau national pour le Hamas. Par conséquent, il est très important de contribuer à ce que le Hamas participe à la vie politique et au processus démocratique. Notre travail consiste à se rencontrer et à dialoguer. Le discours du Hamas envers les femmes a déjà évolué. Il ne dit plus que les femmes doivent rester à la maison, mais il accepte que les femmes travaillent pour subvenir aux besoins de la famille. Localement, nous pouvons nous mettre d’accord, faire entendre notre voix et arriver à des résultats. Seulement, il faut vraiment que nous obtenions des conditions générales d’aide internationale qui puissent nous sortir de l’impasse.

Jusqu’ici, Israël, les USA et l’Union européenne font tout pour déstabiliser le nouveau gouvernement. Alors que nous sommes prêts à développer un gouvernement d’union nationale, les sanctions ne sont toujours pas levées.

Tu penses que nous allons vers une solution de paix ?

En ce qui concerne les femmes, nous oeuvrons grandement pour la paix. Nous sommes opposées aux rivalités entre factions. À Naplouse, en novembre dernier, nous avions réuni plus de 300 femmes pour exiger l’arrêt des violences entre Palestiniens. Notre voix doit être entendue. Mais nous comptons sur vous aussi, au niveau international, pour dire que cela ne peut plus durer, qu’il faut lever les sanctions et s’opposer à l’occupation. Faites tout votre possible auprès de la communauté internationale et de l’Europe pour garantir nos droits.

Note

1 Le Commissaire européen Louis Michel en visite dans les territoires occupés a estimé le jeudi 26 avril que « la situation humanitaire dans les territoires n’a sans doute jamais été aussi mauvaise. Près de 60% de la population vivent désormais sous le seuil de pauvreté de 2 euros par jour. Depuis 2006, la pauvreté a augmenté de 30%. Près de 35 % de la population, soit 1,3 million de Palestiniens, sont victimes d’insécurité alimentaire. » Le Monde de dimanche-lundi 30 avril 2007.

ISELIN Pierrette, AWACH Samar
* Paru dans le périodique suisse « solidaritéS » n°108 (16/05/2007).