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PALESTINE

Châteaux en Espagne

Samedi 15 décembre 2007, par Mustafa Al-Barghouti

Nul doute qu’Israël jubile après la débâcle d’Annapolis, mais son cinéma ne changera ni la nature ni la détermination des Palestiniens dans leur lutte de libération nationale, écrit Mustafa Al-Barghouti.

13 décembre 2007- Pendant que l’équipe d’Abbas et Fayyad participe aux réunions de salon avec les occupants israéliens, les Palestiniens (et leurs enfants) dans la bande de Gaza en sont réduits à fouiller les tas d’ordures

Sauf le respect que je dois à l’ensemble des orateurs qui ont pris la parole à Annapolis, le seul document issu de cette réunion a été le protocole d’accord entre Israël et la délégation palestinienne. Dans ce texte d’une page, vague et bâclé, on mentionne six fois un autre document nommément : la feuille de route.

C’est cette même feuille de route qui a achoppé pendant quatre ans au même obstacle dans la mesure où elle exige des Palestiniens une tâche impossible : celle d’assurer la sécurité et la protection de leurs occupants. Israël est le quatrième exportateur d’armes dans le monde. Il possède la force militaire la plus puissante de la région, un arsenal nucléaire plus important que celui de la France, une force aérienne plus forte que celle du Royaume Uni. La force d’occupation est si forte que l’autorité qui gouverne le peuple opprimé par ladite force s’entend dire qu’’il lui faut la protéger alors même que l’autorité en question n’a pas le moyen de protéger son propre peuple. Voilà assurément une première dans l’histoire.

Israël a donc été le grand vainqueur d’Annapolis. Il a obtenu tout ce qu’il voulait en essuyant un minimum de pertes tandis que la délégation palestinienne battait en retraite sur chacun de ses engagements. Il n’a pas été question de geler l’expansion des colonies israéliennes ni d’arrêter la construction du mur de séparation/apartheid ; nulle mention n’a été faite de la question de Jérusalem, des réfugiés palestiniens ni des frontières. On a vaguement parlé des « questions clé » sans préciser lesquelles. Même pour faire semblant, on n’a absolument pas mentionné le cruel embargo de Gaza, ni, chose encore plus importante, la fin de l’occupation des territoires saisis par Israël en 1967.

Même l’engagement pris par les négociateurs palestiniens d’obtenir un calendrier pour l’aboutissement des négociations relatives à un statut final s’est volatilisé. Ce que les négociateurs ont obtenu a été la formule évasive « Les parties feront un effort pour arriver à un accord avant la fin de 2008 ». Comme les Israéliens l’ont dit clairement, pour eux « faire un effort » est loin de les lier à une date limite.

Un proverbe palestinien dit « Le début de la danse est la partie difficile. » Eh bien, nous savons comment la danse a débuté. Si les négociateurs palestiniens ont complètement battu en retraite avant même le début des négociations, il n’est pas difficile d’imaginer comment se présenta la suite.

Avant la réunion, Tzipi Livni s’est promis que la sécurité (selon la définition israélienne) venait avant les négociations et avant le début du processus de paix. Elle a obtenu ce qu’elle voulait. En fait, la presse américaine a révélé que tout le plan de la réunion d’Annapolis avait été élaboré préalablement par Condoleezza Rice et Tzipi Livni selon les desiderata de Tel-Aviv.

Plus sinistre encore est la dernière phrase du « protocole d’accord ». Elle dit « La mise en application du futur traité de paix sera assujettie à celle de la feuille de route ». « La feuille de route » est libellée de telle façon qu’Israël a tout loisir de prétendre que les Palestiniens ne tiennent pas leur part du marché.

Là encore, tout s’est déroulé selon les plans israéliens. Quel que soit le produit des futures négociations, ce résultat sera laissé sous le coude jusqu’à ce que l’Autorité palestinienne (AP) se voie accorder le certificat israélien de bonne conduite, attestant sa volonté et sa capacité à faire fonction d’agent de sécurité pour l’occupation. Sur le plan pratique, c’est un rôle impossible pour l’AP car si elle s’y essaie, elle perdra toute influence et crédibilité en tant que représentant le peuple palestinien.

Toutefois, le fait nouveau le plus dangereux du point de vue stratégique et historique est que les Palestiniens ont accepté un document qui remplace toutes les références à l’initiative de paix arabe et aux résolutions des Nations unies comme cadre pour le processus de paix S’y substitue la « feuille de route » et l’accord entre les deux parties, c’est-à-dire ce qui rencontre l’approbation d’Israël.

Le seul succès dont peut se prévaloir la délégation palestinienne -la même qui est allée à Oslo- est que les USA serviront de juge pour la mise en application de l’accord. On ne peut cependant guère parler de succès vu que Washington est ouvertement favorable à Israël et que, d’un trait de plume, il a exclu comme arbitres possibles le Quartette (malgré tous ses défauts) ainsi que tous les autres membres de la communauté internationale.

Dans l’ivresse de sa victoire, la délégation israélienne s’est empressée de rappeler à la presse internationale qu’Israël avait 14 réserves au sujet de la feuille de route et qu’il s’y tiendrait. La délégation a aussi profité de la présence massive de délégations arabes à Annapolis pour intimer qu’Israël a pratiquement normalisé ses relations avec les Arabes sans avoir à résoudre la question palestinienne et sans avoir à se retirer des territoires arabes occupés.

L’accent placé sur la feuille de route a montré très clairement que les israéliens ont l’intention d’intensifier les divisions palestiniennes internes et d’aggraver l’affrontement entre les factions afin de les affaiblir toutes. Israël, qui s’est acquis le soutien de la communauté internationale autour du siège de la Bande de Gaza et du renversement du gouvernement palestinien d’unité nationale, a besoin de ces divisions pour pouvoir prétendre qu’il est impossible d’arriver à une solution avec une Autorité palestinienne incapable de maîtriser sa propre population.

Avant Annapolis, le conflit était axé sur trois questions essentielles : la narration, la vision et le détenteur de l’initiative. A Annapolis, la position israélienne, soutenue par les Etats-Unis, a gagné sur tous les fronts.

Concernant la narration, la cause palestinienne est passée de la lutte d’un peuple contre l’occupation, l’oppression et le racisme étrangers et de la lutte pour la liberté et l’auto-détermination, à une lutte entre « modérés » et « extrémistes » au Moyen-Orient en en Palestine même. Tous les efforts iront maintenant à enterrer la cause palestinienne, source constante d’instabilité et de tension dans la région.

La vision du futur en découle naturellement. Elle a pris la forme d’une tentative insidieuse de vider le concept d’un Etat palestinien de toute substance et de créer à la place une entité gouvernante sans droits souverains qui ne peut pas garantir sa propre sécurité. Cet Etat serait créé dans des cantons enclavés et disparates soumis à un régime d’apartheid. En outre, sous prétexte qu’il est impossible de résoudre les questions clé du statut de Jérusalem et des réfugiés, on essaiera de pousser la notion d’un Etat doté de « frontières intérimaires » fixées par le mur de séparation illégal et raciste, sans Jérusalem comme capitale, sans intégrité territoriale et sans les régions où sont installées des colonies israéliennes en expansion constante.

En ce qui concerne la troisième question, il est évident que la réunion d’Annapolis a été convoquée sous la pression croissante des Arabes qui demandent une issue à la cause palestinienne sur fond du bourbier américain en Irak, La réunion répondait aussi simultanément à l’initiative de paix arabe qui avait commencé à obtenir un appui accru à une nouvelle conférence internationale de la paix (Madrid II) qui devait rétablir la recherche d’une solution pour la cause palestinienne et le conflit arabo-israélien en général dans le cadre tant de la légitimité internationale que des résolutions des Nations unies.

A Annapolis, l’initiative est passée des mains des Arabes et des autres parties internationales à celles des Etats-Unis qui ont coordonné chaque détail en liaison étroite avec Israël. Il s’ensuit qu’au lieu de résolutions et de droit international, la base de la solution repose sur ce que les deux parties conviennent ; au lieu de l’approche globale de Madrid, celle qui découlera d’Annapolis sera caractérisée par de minuscules étapes intérimaires et un traitement très sélectif des problèmes.

Israël est arrivé à bloquer jusqu’aux efforts déployés par les Etats-Unis pour redémarrer les négociations à Washington afin de donner l’impression qu’elles se déroulent sous le patronage d’une tierce partie. Olmert a insisté pour que les négociations se déroulent uniquement entre les deux parties, en Israël et dans les territoires occupés, et nulle part ailleurs. Son but était de prévenir le risque d’une ingérence extérieure, même celle des Etats-Unis si fermement pro-israéliens. Il a eu gain de cause.

Devons-nous vraiment nous étonner de la suffisance jubilatoire de la délégation israélienne ou de l’amertume qui a dû submerger certains délégués arabes dont les discours et les photos n’ont même pas été relayés par la plupart des médias, ou encore de la déprime qui s’est abattue sur certains membres de la communauté internationale, cela à supposer qu’ils peuvent sentir quoi que ce soit après avoir été exclus et snobés si grossièrement et si cavalièrement .

Notre seul espoir est qu’avant longtemps, les officiels palestiniens de tous bords se rendront compte que la vision israélienne a progressé parce que les Palestiniens ont rompu les rangs et qu’ils n’ont pas de vision stratégique ni de leadership national uni.

Israël a gagné le temps qu’il voulait et il espère en tirer profit. Il n’a toutefois pas gagné le combat. L’issue sera déterminée par les événements sur le terrain. Elle sera déterminée par le progrès de la lutte pacifique menée par la base palestinienne avec l’appui croissant d’un mouvement international de solidarité dont les partisans dévoilent le caractère véritable du régime israélien et de ceux qui coopèrent avec lui.

C’est ce qui préoccupe Olmert parce que le nom d’Israël est devenu synonyme d’apartheid. C’est un souci qu’il ne pourra pas dissiper en prenant le contrôle du prétendu processus de paix et en lui enlevant toute incidence sur la lutte véritable se déroulant sur le terrain, lutte qu’il ne peut pas arrêter à coups de décrets administratifs.

* Mustafa Al-Barghouti est le secrétaire de l’initiative nationale palestinienne et député au Conseil Législatif Palestinien.


Voir en ligne : www.info-palestine.net