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PALESTINE

Après Gaza, quelle nouvelle donne pour le projet national palestinien ?

Mardi 7 avril 2009, par Bernard Ravenel

Deux mois après le cessez-le-feu du 22 janvier je voudrais tenter une première interprétation de l’après Gaza à la fois en termes de premier bilan et de lecture des stratégies et des dynamiques régionales et mondiales qui se dégagent et qui vont conditionner l’avenir du projet de libération nationale palestinien et par voie de conséquence notre solidarité avec ce projet. Je suis conscient du caractère approximatif de ce premier travail qui a pour objet d’alimenter une réflexion nécessaire.

D’abord, il est réapparu évident que le « conflit israélo-palestinien » restait central. L’absence de solution politique déstabilise toute la région et interdit d’envisager une quelconque paix séparée au Moyen-Orient. Cette absence de perspectives de paix, et par conséquent le maintien d’une perspective de guerre, entraînent une poursuite de la course aux armements, concernant y-compris les armes de destruction massive – le phosphore blanc en est une, sans oublier le nucléaire.

D’autre part cette « guerre » a mis en lumière les nouvelles dynamiques géopolitiques, géostratégiques dans la région qui sont en train de modifier en profondeur les équilibres précédents.

De ce point de vue, la question palestinienne est redevenue à la fois un « instrument de mesure » [1] - et une caisse de résonance – de la crise et des conflits qui traversent le monde arabe. Elle est à la fois facteur et effet de ses divisions en deux camps : un axe Syrie, Qatar, Hezbollah, Hamas soutenu par l’Iran (lui même très influent en Irak) qui s’est réuni le 17 janvier à Doha (Qatar en présence de Khaled Meschaal) un autre bloc composé essentiellement de l’Égypte, de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie soutenu par l’Occident et qui s’est retrouvé à Koweït le 19 janvier en présence d’Abu Mazen.

Cette situation s’inscrit dans un contexte caractérisé par une double défaite historique : celle des Etats-Unis en Irak (et en Afghanistan), et celle du nationalisme arabe des années 50-60 (celui de Nasser comme celui de Yasser Arafat, soutenu par l’essentiel de la gauche arabe et tiers-mondiste en Occident...).

A ce double échec correspond la montée globale du projet politique et idéologique de l’Islam politique. En même temps s’affirment de nouvelles puissances (non-arabes) : la Turquie, et surtout l’Iran qui entend jouer un rôle de puissance régionale, contestant la politique américaine et israélienne.

Ces bouleversements régionaux s’articulent donc sur le jeu des grandes puissances mondiales (EU, UE, Russie, Chine, Inde, Brésil...) pour lesquelles le Moyen-Orient et ses ressources énergétiques (et leur mode de transport) restent ou deviennent un élément déterminant pour le fonctionnement de leur propre système économique et parfois financier. L’accès aux ressources énergétiques du Moyen-Orient reste ou devient une composante centrale de leur « sécurité énergétique ».

L’enjeu principal devient la redéfinition par la nouvelle administration américaine de ses relations avec ces nouvelles puissances, en particulier avec l’Iran à travers la négociation sur l’uranium enrichi et l’organisation de la sécurité régionale dominée par sa nucléarisation progressive, à partir de la volonté d’Israël de jouer le rôle de gendarme nucléaire au Moyen-Orient.

Dans cet ensemble Israël, qui a subi un échec militaire au Liban perçu comme effet de la montée en puissance de l’Iran dans la région, et inquiet de l’évolution possible de la politique américaine, entend rétablir sa suprématie stratégique et son pouvoir de dissuasion appuyé sur le nucléaire. Il s’agit d’abord de maintenir son contrôle militaire sur la Palestine et son refus de négocier la constitution d’un État palestinien souverain tel que défini par le droit international.

Avec la fin d’Annapolis et la guerre à Gaza, Israël vient de perdre irrémédiablement l’occasion de faire la paix avec le nationalisme « non-confessionnel » arabe (l’offre du plan de paix arabe). Demain il aura à faire à un monde arabe islamisé à l’intérieur duquel son choix sera l’intégration résultant d’un compromis politique négocié avec le mouvement islamiste – et donc l’État palestinien indépendant – ou la guerre qui se nucléarisera davantage.

La stratégie israélienne

Il nous faut d’abord démasquer les mensonges des dirigeants israéliens à propos de cette guerre si l’on veut éviter de laisser se reproduire, sans réagir à temps, de nouveaux massacres.

En clair, distinguer les objectifs annoncés par Olmert, Livni, Barak, et les objectifs réels : Premier mensonge : les roquettes du Hamas constituent une menace militaire qui progressivement va détruire Israël... Certes si les civils de la zone frontalière ont une peur réelle de recevoir des roquettes sur la tête, Barak sait très bien qu’elles ne constituent en rien une menace militaire face à laquelle il faudrait une réponse militaire d’une grande violence. Tout le monde sait que la cause de ces roquettes est le maintien du blocus et que par conséquent l’arrêt du lancement de ces roquettes ne peut provenir que de la décision politique de lever un blocus illégal.

Lorsqu’Israël a lancé ses représailles, les Qassam tirées de Gaza avaient tué, bien avant, une personne, blessé quelques unes et fait des dommages mineurs à Sdérot. Bilan incomparable avec les 500 morts, les milliers de blessés et des destructions infligées par l’armée israélienne à Gaza au bout de trois jours seulement alors que les roquettes continuent à pleuvoir...

Deuxième mensonge, « nous voulons détruire seulement les infrastructures du Hamas ». On sait très bien qu’un mouvement comme le Hamas n’est pas une armée avec ses casernes, des dépôts de matériel, une logistique plus ou moins lourde. Ses structures sont étroitement imbriquées avec les autres institutions civiles, sociales et religieuses : c’est si vrai qu’Israël a empêché la presse internationale d’accéder à Gaza pour voir cette réalité.

Troisième mensonge, « nous allons détruire le Hamas par les armes ». Livni et Barak ne sont pas stupides et désinformés au point de croire que l’on peut détruire avec les armes une force politique votée majoritairement par la population, comme si le Hamas était une sorte d’émanation détachable de son enracinement populaire !

En fait Livni et Barak étaient parfaitement conscients que l’agression à Gaza allaient renforcer l’influence et le poids du Hamas sur la population de Gaza aujourd’hui et de Cisjordanie demain face à un Mahmoud Abbas très affaibli non seulement par son opportunisme et ses erreurs – dont celle majeure de ne pas avoir été à Gaza dès l’agression – mais aussi par la volonté israélienne, soutenue par l’Occident, de ne pas permettre la naissance de l’Etat palestinien, la poursuite de la colonisation ayant fait le reste... Israël par le processus d’Annapolis aura sciemment, ridiculisé l’Autorité palestinienne à l’avantage du Hamas perçu par les Palestiniens comme un groupe qui, perdu pour perdu, a assurer un minimum de dignité et de résistance sans le Fatah « national » même si, sur place, des militants du Fatah ont participé à la résistance.

Par conséquent, les objectifs réels d’Israël étaient fondamentalement différents de ceux qu’il annonçait. Il y avait deux objectifs à court terme :
1.Battre aux élections Netanyahu, le vrai défenseur à outrance d’Israël : une manœuvre un peu désespérée car finalement l’extrême droite a gagné. Notons que cette bataille électorale s’est menée sur le corps des Palestiniens, curieuse démocratie...
2.Utiliser les dernières semaines de Bush à la Maison Blanche pour mettre le nouveau Président (élu le 4 novembre – jour de la violation de la trêve par Israël...) devant le fait accompli le 20 janvier jour de la prise de fonction par Obama (en particulier avec l’engagement israélo-américain pris pendant cette guerre par Condoleeza Rice concernant le contrôle du commerce des armes en provenance de l’Iran, y-compris par la marine de guerre...).
3.Montrer, par des massacres délibérés de civils et par la destruction systématique des bases économiques, sanitaires, scolaires et institutionnelles (que celles-ci soient du Hamas ou de l’Autorité palestinienne) de la société gazaouie, sa volonté de refuser absolument ce qui constituerait les fondements d’un État souverain « viable ».
4.Surtout, démontrer à l’allié américain, mais aussi au Hezbolalh et à l’Iran sa volonté d’affirmer à tout prix sa supériorité militaire totale pour maintenir une prépondérance militaire constante dans la région. Montrer aussi à Obama l’atout stratégique irremplaçable que représente Israël pour les intérêts américains dans la région...

Quel bilan ? Victoire militaire et défaite politique ?

Le bilan politico-militaire pour Israël est ambigu et dépend des objectifs réels poursuivis. Sur le plan militaire il semble que l’objectif n’ait pas été la destruction des forces armées ennemies ou des stock de roquettes mais qu’il s’est agit d’une logique de terreur visant toute la société. L’institution militaire israélienne croit avoir démontré sa capacité de neutraliser « la résistance militaire du Hamas », les Qassam en tant que tel n’ayant aucun impact militaire.

Cette victoire tactique qui a supposé une « pratique de guerre » centrée sur la population civile s’apparente à une logique d’extermination. Cette pratique a été non-seulement minutieusement pensée et programmée par l’État-major pour fixer les règles d’engagement pour les troupes, mais aussi pour la faire admettre par l’opinion publique internationale. Pour ce faire, elle a été accompagnée, précédée, par une campagne médiatique de déshumanisation de l’adversaire à partir du pseudo-concept de « guerre contre le terrorisme » lancée par les néo-cons après le 11 septembre 2001. La démonstration est claire, Hamas est terroriste, la population a voté Hamas donc la population est terroriste. Tel est le sens de l’affirmation d’Israël déclarant Gaza « entité hostile ». Or le terroriste est représenté comme l’équivalent d’une sorte de gangster qui ne peut avoir le statu d’un combattant. On nie à l’ « ennemi » toute qualité humaine donc tout droit. On ne fait pas de prisonnier.

C’est alors qu’on se présente comme étant porteur de la seule culture légitime qui compte, la nôtre, l’Autre n’étant porteur que d’une sous-culture monstrueuse, anti-humaine en quelque sorte comme le fondamentalisme islamique. Donc la guerre asymétrique n’est pas menée contre des hommes mais contre une société de non-hommes. C’est cette vision du monde fondée sur l’exclusion de l’Autre – des Palestiniens – du genre humain qu’Israël a diffusée relayée par de nombreux média occidentaux.

Cette représentation vise à justifier la « guerre des culture » et à légitimer l’emploi contre le monde islamique d’armes de destruction de masse (comme les armes chimiques - au phosphore blanc). L’impact de cette représentation non seulement de la société israélienne mais en partie dans le monde occidental doit être mesuré avec ses conséquences politiques.

Mais c’est précisément cette pratique de guerre menée par Israël qui a été l’objet d’une condamnation planétaire. Cette « guerre » a été moralement, donc politiquement perdue aux yeux de la grande majorité de l’opinion publique mondiale. Or, pour les dirigeants néo-cons, les rapports de force ne seront pas toujours favorables à Israël et à ses alliés dans le monde ; il est donc nécessaire d’agir vite et fort d’où une course de vitesse entre ceux qui veulent faire la guerre et ceux qui entendent s’y opposer.

La stratégie du Hamas : reconduire la trêve ou non ?

La stratégie du Hamas ne se définit pas à partir d’une logique de ressentiment. Elle est le produit d’une analyse et d’un calcul politiques.

Les dirigeants du Hamas ont bien compris dans quelle situation se trouverait le gouvernement israélien s’ils décidaient de rompre à leur tour la trêve du 19 décembre. Ils savaient que leurs roquettes étaient sans impact militaire et qu’ils ne pourraient même à terme représenter une menace telle qu’ils forceraient Israël à se convertir à la paix. Mais ils savaient aussi qu’aucun gouvernement en place ne peut se représenter aux élections avec une zone frontalière prise pour cible chaque jour.

Donc ils pensaient qu’une attaque aurait lieu, mais qu’elle serait assez vite arrêtée par une médiation égyptienne qui pourrait faire avancer leurs revendications...

Par conséquent, ce serait un échec politico-militaire d’Israël.

On peut comprendre ce raisonnement, mais c’est une logique « réciproque » à celle d’Israël en quelque sorte en miroir, en dépit du caractère extrêmement asymétrique du rapport des forces militaires.

Tel a dû – ou a pu – être le raisonnement politique de la direction du Hamas, fondé sur une analyse de la stratégie militaire israélienne. Il faut ajouter à ces appréciations vis-à-vis d’Israël que cette décision du Hamas a été certainement prise en liaison avec l’Iran (et la Syrie) et aussi à l’adresse d’Obama pour que celui-ci, constatant l’incendie, soit à même d’intervenir plus vite que prévu et de tenir ses promesses de « dialogue avec le monde musulman » (précisément avec l’Iran...).

Mais dans la décision du Hamas, il y a aussi – et peut être davantage – un calcul fondé sur les relations internes avec les autres composantes du mouvement national.

Le Hamas a considéré que le renouvellement de la trêve n’aurait pas joué en sa faveur, n’aurait pu produire des résultats ultérieurs, et n’aurait donc pu le renforcer dans sa rivalité avec l’Autorité palestinienne et le Fatah.

En décidant de rompre la trêve à son tour, la direction a fait un double calcul : Ou Israël, alors, va négocier via l’Égypte et fait alors des concessions, et cela démontrera la justesse de la voie choisie. Ou Israël attaque, cela provoquera certes des victimes palestiniennes, mais aussi israéliennes du fait de la résistance, et cela renforcera notre position à l’intérieur du mouvement national, à Gaza et en Cisjordanie. Cela supposait donc exposer la population civile gazaouie à un danger maximum d’autant qu’il semble que rien n’était prévu auparavant comme protection de la population en cas d’attaque... Des mesures de « défense passive ».

Finalement, ce qui a compté pour la direction du Hamas, c’est la logique de rivalité avec le Fatah dans la volonté d’imposer son pouvoir. En aucune manière, cette décision ne s’intégrait dans une stratégie de libération nationale qui aurait supposé une proposition d’élaboration commune préalable pour impliquer l’ensemble du mouvement national.

Le Hamas a imposé son agenda propre qui sert d’abord sa stratégie politique propre de construction de son pouvoir para-étatique sur une partie de la Palestine. D’abord en voulant démontrer qu’il est le seul représentant authentique de la résistance populaire d’abord à Gaza – quitte à réprimer violemment les autres composantes qui ont combattu avec lui (Fatah, Front Populaire, Front démocratique et Djihad islamique [2]) – mais bientôt aussi en Cisjordanie : une logique de guerre civile : en fait, aucun des deux protagonistes n’est prêt à partager son pouvoir. L’Autorité palestinienne en Cisjordanie mène sous la supervision du général américain Keith Dayton une répression violente contre le Hamas et tend à se comporter comme une sorte d’agence de sécurité d’Israël... La situation ne pourra se débloquer que s’il y a un accord pour reconstruire les organes de sécurité et du mouvement de libération (O.L.P) en y incluant toutes les « factions ». Pour le mouvement on peut espérer un accord partiel qui mène à la formation d’une sorte de gouvernement d’unité nationale – mais sur quel programme politique ? - en laissant ouvert un dialogue sur beaucoup de problèmes et en maintenant de fait deux « autorités » palestiniennes distinctes : l’une en Cisjordanie contrôlée par Fatah, l’autre à Gaza sous le Hamas. Une « réconciliation armée » en quelque sorte d’autant plus fragile que chacun des deux camps a des parrains extérieurs, ayant des intérêts divergents et même opposés...

Finalement l’immense tragédie humanitaire de Gaza, c’est-à-dire le rapport entre coût humain et bénéfices politiques ne peut être considéré comme une victoire pour le peuple palestinien et son mouvement national. De ce point de vue, il faut s’interroger sur le sens de la réponse du Hamas à la rupture de la trêve par Israël le 4 novembre 2008 (jour de l’élection d’Obama) qui avait causé la mort de 6 Palestiniens. A partir de ce moment, le Hamas a repris de manière sporadique le lancement de roquettes. Pendant ce temps, T. Livni pressée d’intervenir en fonction de l’agenda politique américain accélère la préparation militaire (et diplomatique) pour l’attaque. D’autre part, Le Caire après le « non » du Hamas à la reprise de négociation de réconciliation avec le Fatah aurait décidé de « punir » les dirigeants politiques islamistes et ne semblait plus décidé à intervenir fortement en cas d’attaque israélienne...

C’est dans ce contexte que le Hamas annonce le 18 décembre 2008 la fin de la trêve pour le jour fatidique du 19, échéance de la trêve car l’embargo, acte de guerre, n’est pas levé. Et ce fut le tire de roquette suivi immédiatement du déclenchement de l’attaque israélienne qu’Olmert souhaitait le plus tôt possible. La rupture de cette trêve, certainement voulue par la base militante et politiquement largement justifiée, exprime une volonté légitime de résistance contre le blocus. Mais elle s’est exprimée de façon profondément erronée et contre-productive. Elle a montré que le Hamas, plutôt que de choisir la voie de la mobilisation politique de la société de Gaza – mobilisation qui aurait pu être unitaire et donc nationale, c’est-à-dire rassemblant toutes les forces politiques du mouvement palestinien de libération, a opté unilatéralement pour une réponse « violente » ciblant la population des villes et d’autre part militairement inoffensive [3]. Elle a donc précipité le déchaînement de la puissance militaire israélienne contre la population de Gaza d’ailleurs non préparée et donc dramatiquement exposée au feu israélien [4].

Il semble bien, de l’aveu de K. Mechaal, que les dirigeants du Hamas avaient sous-estimé les dimensions de l’attaque israélienne malgré ce qu’avait déjà été l’« opération Remparts » en 2002 et la guerre du Liban en 2006. Cette erreur d’évaluation dans la lecture des stratégies et des dynamiques régionales est grave pour des dirigeants politiques qui ambitionnent de guider le peuple palestinien...

Quel bilan : défaite militaire ? Victoire politique ?

Défaite militaire oui : car à la différence du Hezbollah, le Hamas n’a pas infligé de pertes significatives en hommes et en matériel (il ne disposait pas d’armes anti-chars) à l’ennemi. Il a plutôt préféré éviter le combat frontal et « asymétrique ». Mais une défaite militaire limitée car le Hamas a gardé l’essentiel de ses structures armées, de ses capacités militaires, y-compris de lancer des roquettes... Mais au service de quelle stratégie ? C’est là qu’intervient la lecture de Jean-François Legrain (http://www.france-palestine.org/article11133.html ) présentée dans les termes suivants : « Énoncée en termes de « dissuasion » ou de « violence disproportionnée », cette logique militaire se trouve articulée sur une politique tout aussi réelle mais cachée. Pour entretenir l’alignement international sur sa politique unilatérale en matière palestinienne, Israël mise depuis longtemps déjà sur la radicalisation de ses adversaires, radicalisation au besoin suscitée par son propre comportement. Les opposants aux politiques israéliennes, quels qu’ils soient nationalistes ou islamistes, doivent être « les ennemis de la paix » et la « modération » constitue une menace (Norman Finkelstein, « Les dessous du dernier bain de sang à Gaza : contrer une offensive de paix palestinienne », Info-Palestine.net, 18 janvier 2009). »

Victoire politique oui : il est sorti renforcé vis-à-vis de l’Autorité palestinienne, du Fatah, de sa propre population encore plus dépendante du mouvement islamiste qu’avant car ce mouvement est une organisation sociale disciplinée et forte. Aux yeux du monde arabe et musulman, il a gagné en popularité pour avoir résisté, même si une partie d’entre elle s’est interrogée sur la pertinence de la stratégie du Hamas. Désormais il entend s’affirmer comme le leader de la résistance palestinienne contre Israël.

Enfin il apparaît comme un interlocuteur politique incontournable pour l’UE et les EU.

Quel avenir pour le mouvement national palestinien ?

A partir de ces éléments partiels on constate que la nécessaire unité nationale du mouvement de libération connu un nouveau et profond recul, accompagnant une séparation plus nette entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza toujours plus autonome et détachée, sous le contrôle absolu du Hamas. Des deux côtés, on prête moins d’attention au problème stratégique central celui de l’occupation militaire israélienne. Pour le Hamas, le problème numéro un c’est le Fatah, pour le Fatah, le problème c’est le Hamas...

Il nous d’abord distinguer l’Autorité palestinienne du Fatah. L’Autorité palestinienne a un gouvernement dirigé par S. Fayyad non membre du Fatah et composé de nombreux technocrates où le Fatah ne semble pas majoritaire. Le gouvernement a son autonomie à l’égard du Fatah et reste prisonnier de la diplomatie égyptienne et américaine.

Le Fatah éclaté politiquement, reste malgré tout une formation politique populaire. Son éclatement s’explique à la fois par sa défaite politique à partir de laquelle il n’a pas pu mener une réflexion stratégique autocritique permettant d’élaborer un redressement politique et organisationnel (pas de Congrès depuis 1989 – et malgré les annonces répétées il semble bien qu’il n’y en aura pas en 2009). En plus, beaucoup de ses cadres sont toujours emprisonnés à commencer par Marwan Barghouti.

Aujourd’hui, Fatah et Hamas souffrent à distance d’une absence de stratégie commune, chacun estime avoir sa légitimité, auto-proclamée en fait, et chacun entend conforter et pérenniser son pouvoir, sans élections organisées ensemble. En l’état le mouvement national n’a ni unité, ni objectif, ni stratégie. Personne ne semble en état de porter le projet national. Or, pour être considéré comme force de négociation sérieuse, il faut rétablir un niveau politique d’unité nationale, avec l’aide arabe. La proposition récente de Mahmoud Abbas n’a pas encore de programme politique clair...

D’autre part, le débat stratégique, s’il a lieu, risque d’être très difficile. L’échec d’Annapolis fournit au Hamas une occasion de démontrer que la voie de la négociation choisie par Abu Mazen n’a mené à aucun résultat parce que les Israéliens ne veulent pas de solution politique. Après les élections le nouveau pouvoir en Israël aura comme principal souci de se préparer à faire la guerre contre l’Iran... Par conséquent pour les Palestiniens l’unique voie possible resterait celle de la résistance armée.

Or y-t-il, après l’échec de la deuxième Intifada « militarisée », une « option militaire » crédible pour libérer la Cisjordanie de l’occupation israélienne ? A moins d’attendre un renversement de pouvoir en Égypte par les Frères Musulmans ce qui pourrait assurer aux Palestiniens de Gaza c’est à dire au Hamas un sanctuaire – comme l’est la Syrie pour le Hezbollah – une confrontation armée avec Israël ne peut que produire une catastrophe humanitaire, économique et écologique insupportable pour la société palestinienne.

On en revient donc à la problématique de la « troisième voie », celle de la résistance populaire non-violente, comme le fut la première Intifada en 1987 et comme souhaiteraient la développer nos amis de Bilin, de Nilin ou de Massara et Mustapha Barghouti. Cette lutte d’abord ne peut tenir que si elle est directement soutenue à la fois par un ensemble représentatif de forces sociales et politiques à l’intérieur et par le mouvement de solidarité internationale à l’extérieur.

Or et c’est là un des aspects les plus importants du bilan : l’implication de nombreux acteurs étatiques arabes et occidentaux, sans oublier la Turquie et l’Iran, mais aussi la Russie, pour sortir de la crise tend à montrer une internationalisation irréversible du problème supposant une responsabilisation accrue des États. Du même coût, cette implication doit permettre une plus grande mobilisation de la société civile des pays concernés.

La nature du pouvoir israélien et de sa politique actuelle et prévisible, la division profonde du mouvement palestinien, ne permettent plus d’envisager une négociation bilatérale – déjà très asymétrique – productive... Une intervention extérieure forte, articulée sur une mobilisation de la société civile internationale y compris en Palestine même et qui imposerait un accord politique, paraît la seule issue. Celui-ci ne peut être atteint qu’en se fondant sur le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité jusque là bloquées par le veto américain. La problématique de la force internationale de protection qui accompagnerait inévitablement la négociation dans le cadre ONU (et surtout pas OTAN) pose la question du rôle de l’engagement de la société civile dans cette protection. Déjà la présence organisée d’ « internationaux » en Palestine (missions civiles, soutien à la cueillette des olives, à la résistance populaire non-violente, etc...) préfigurent ce rôle.

Ce qui rend encore plus important le rôle de l’Europe et, par conséquent, le rôle du mouvement de solidarité en Europe et la nécessité de centrer la mobilisation politique sur le retour au droit qui reste l’enjeu du conflit. D’où ’importance de l’établissement de liens avec le mouvement pacifiste américain mais aussi avec la société civile du monde euro-méditerranéen qui s’est très fortement mobilisé pendant les évènements de Gaza.

Après Gaza, la globalisation de la question palestinienne est devenue irréversible, impliquant davantage les États et les sociétés civiles. C’est donc de la capacité de cette société civile organisée à définir et à mener une stratégie communes de solidarité politique que dépend pour partie l’avenir du mouvement national palestinien.

[1] Le Monde 21/01/2009

[2] Selon Amnesty International le Hamas aurait exécuté 25 cadres du Fatah. Selon le PCHR de Gaza, ce serait 31 membres du Fatah ainsi que plusieurs membres d’autres organisations dont un membre de FPLP.

[3] Il semble bien que la décision de rompre la trêve le 19 décembre n’ait pas été prises sans débat. Si K. Mechaal a bien annoncé le 14 décembre la fin de la trêve le 19, ce même14 décembre I. Hanyieh ne l’a pas du tout évoqué dans son grand discours à l’occasion du rassemblement à Gaza pour le 21ème anniversaire du Mouvement de la résistance islamique

[4] La déclaration d’I. Hanyieh selon laquelle le Mouvement islamiste ne hissera pas le drapeau blanc « même si tout Gaza est détruite » est irresponsable.


Voir en ligne : www.france-palestine.org