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Europe

À propos de la saint Ferdinand

La Constitution européenne - Lettre d’un européen un peu frustré

Jeudi 21 avril 2005, par Bernard DREANO

« Le règlement du problème de la démocratie, la nécessité de redistribuer entièrement les compétences tant au niveau horizontal, c’est à dire tant entre les institutions européennes, qu’au niveau vertical, c’est à dire entre l’Europe, les Etats-nations et les régions, ne pourront être menées à bien qu’en refondant l’Europe au plan constitutionnel, ou en d’autres termes en réalisant le projet d’une constitution européenne qui devra essentiellement ancrer les droits fondamentaux et les droits de l’homme et du citoyen, de même qu’une séparation équilibrée des pouvoirs entre les institutions européennes et une délimitation précise des domaines régis par l’Europe ou par les Etats-nations. »

Joschka Fischer - Berlin, discours à l’université Humboldt le 12 mai 2000

Chèr(e)s ami(e)s,

A l’heure où j’écris ces lignes, nous ne savons pas encore si le peuple français va approuver ou non le traité constitutionnel européen (TCE), et les sondages donnent l’avantage au Non. C’est un bon moment pour vous faire partager quelques réflexions sur l’état de l’Europe, essayer de comprendre ce qui nous arrive et envisager ensemble l’avenir.

Pour ne pas perdre de temps je vous précise tout de suite que je n’ai pas changé d’avis concernant ma réponse à la question posée par le Président de la République au sujet du TCE. J’ai bien réfléchi, et cette réponse est Non. Toutefois cette missive n’a pas pour objectif premier de convaincre ceux de mes amis qui, après mures réflexions je l’espère, pensent qu’il faut voter Oui, ni de conforter ceux de mes amis qui, tout aussi sérieusement pensent qu’il faut dire Non.

Il ne s’agit donc pas d’un document de campagne. Je n’ai pas l’intention d’entraîner tel ou tel mouvement, auquel je participe, ou avec lequel je travaille, à prendre position, ce qui serait d’ailleurs bien présomptueux - ou de me porter en faux contre la position prise par tel ou tel autre, surtout si cette position est le fruit d’un débat comme cela a été le cas par exemple au sein d’ATTAC, des Verts, de certains syndicats. J’espère simplement que cette lettre aura encore tout son sens au lendemain du référendum français, le « jour d’après », le 30 mai 2005, fête de saint Ferdinand.

J’écris volontairement à la première personne, la position développée ici m’est propre. Mais elle est nourrie d’expériences collectives. Avec certains de mes amis et camarades, je partage une longue histoire de débats et de combats sur les questions européennes. Ils ne se retrouveront peut-être pas tous dans mes conclusions, mais reconnaîtront une manière de voir. Une manière européenne, et non franco-française, au niveau où se mesurent les rapports de forces politiques et idéologiques qui déterminent les évolutions de nos sociétés. Puisqu’il n’y a que peu ou pas de scène politique européenne, peu ou pas de mouvement social européen, je souligne l’impérieuse nécessité de construire ou reconstruire sans cesse les liens qui permettent à partir de chaque cadre, social ou politique, national, d’accéder au niveau du continent.

C’est le fil rouge d’une action, qui, en ce qui me concerne, commence avec les initiatives prises autour de l’association Agenor au cours des années 70 [1] et des premières élections au parlement européen au suffrage universel. Il se déroule au long des années 80 avec la mobilisation sur la paix, la sécurité et la démocratie en Europe, et sur l’hypothèse de l’imminence de la chute du mur de Berlin, autour des conventions END (European Nuclear Disarmament) et du réseau pour un dialogue Est-Ouest [2] puis au début des années 90 la fondation de la Helsinki Citizens’ Assembly à Prague et de l’Assemblée Européenne des Citoyens à Paris [3]. Il continue avec l’appréciation critique du processus d’intégration européenne, ses institutions, ses traités, dans plusieurs cercles et réseaux au milieu des années 90, notamment après Maastricht et autour du traité Amsterdam, les Conférences inter-citoyennes (CIC) [4] puis, au début des années 2000, autour des débats du groupe Europe du Cedetim [5]. Et pendant toute cette longue période, sans jamais cesser de travailler avec divers réseaux militants sur les espérances et les impasses des relations de l’Europe avec le Sud (en particulier les pays ACP -Afrique, Caraïbe, Pacifique - et l’espace Euro-Méditerranéen) [6].

Cet engagement de long terme sur les questions européennes est la source de ma critique du TCE. Bien entendu, je ne m’attendais pas à ce que les forces dominantes en Europe me proposent un Traité répondant à mes souhaits, mais cela ne le rendait pas automatiquement inacceptable pour autant. De plus, le jugement sur le contenu du texte, que je vais brièvement développer dans cette lettre, ne suffit pas non plus à fonder le rejet du texte. La réponse au référendum est aussi « tactique », tenant compte des dynamiques à l’œuvre là et quand la question est posée, de l’usage que l’on peut faire en situation d’un tel texte. Or les conditions du débat sur le TCE, tel qu’il se déroule à l’échelle européenne, ne sont guère positives et cela ne me conduit pas à opter pour une approbation du TCE au motif que l’adoption serait de nature à favoriser une redynamisation d’une Europe atone.

Le programme idéal n’est pas celui de l’intégration européenne réellement existante

En quoi l’état actuel de l’intégration européenne me semble-t-il mauvais ? Si l’on compare à la situation du continent au moment du traité de Versailles en 1920, de la fin des combats en 1945 ou même lors de la signature du traité de Rome en 1957, la situation est excellente, voire inespérée. Une construction politique originale s’édifie peu à peu, dans laquelle les peuples d’Europe mettent de plus en plus de choses en commun. Cette construction délimite un espace de paix et de prospérité qui s’étend, de Dublin à Tallin, et demain peut être jusqu’à Dyarbakir. Cette Union européenne semble avoir sincèrement proposé sa coopération à son voisinage au travers du processus de Barcelone ou des accords de Cotonou. Elle peut servir de modèle à d’autres logiques continentales dans le reste du monde, être facteur de stabilisation face au risque d’hégémonie américaine ou aux déséquilibres sociaux et écologiques planétaires. Or ce programme idéal n’est pas celui qui est appliqué pour l’intégration européenne réellement existante.

Le logiciel originel de l’intégration européenne avait un double programme. L’un explicite : la paix entre les nations partie prenante du processus. Comme nous l’écrivions en 2003, « Cette Europe était tirée en avant par la volonté franco-allemande de réconciliation, concrétisant une politique de consolidation de la paix continentale à l’ouest. L’axe franco-allemand était accepté par les autres peuples non comme un directoire mais comme une garantie de cette paix. En effet, ce qui fondait la légitimité de l’Union était moins la démocratie que la paix interne, l’assurance de repousser à tout jamais le spectre des guerres intra-européennes (...) » [7]. L’autre partie du logiciel, implicite, était l’anticommunisme, la réponse au défi de « l’autre Europe », avec les moyens de la détente, du progrès social (grâce aux compromis fondateurs de l’Etat providence), une conception « douce » de la guerre froide. « En matière de paix externe, l’Europe s’en remettait à l’Alliance atlantique tout en se donnant pour mission de modérer l’allié américain et de promouvoir la détente plutôt que la guerre froide face à l’ennemi soviétique, et elle demeurait quasi silencieuse en tant qu’Europe vis-à-vis des conflits du tiers monde, de la Palestine aux guerres d’Indochine en passant par l’Algérie »...

Ce double logiciel continue à produire des effets. La paix entre les membres du club demeure une règle absolue. Toutefois cette règle ne s’applique pas au-delà des limites de l’Union. Celle-ci n’ayant pas pu, et pas vraiment voulu, se donner les moyens d’empêcher la guerre, elle a du mal à contribuer efficacement à la paix dans son voisinage immédiat (Ex-Yougoslavie, Turquie, Caucase, Proche Orient...) et rencontre, au fur et à mesure de son élargissement ou de l’approfondissement de son association avec ses mêmes voisins, des difficultés liées aux conflits non réglés de la Croatie au Kurdistan, de la Moldavie à la Palestine. En ce qui concerne les droits démocratiques, l’Union européenne, qui a fait progressivement sien le corpus du Conseil de l’Europe, et qui dispose, au travers des mécanismes d’adhésion, de moyens sans commune mesure avec ceux du dit Conseil, contribue incontestablement à faire progresser ces droits chez les postulants, comme le démontrent les exemples de Turquie ou de la Roumanie. Cependant ces progrès sont ralentis après l’adhésion et pas toujours évidents chez les anciens membres. Il n’y a en effet alors plus de conditionnalité, il faut s’en remettre à la lente évolution jurisprudentielle qui n’est pas toujours linéaire. Enfin, pour les pays associés, comme ceux de la coopération Euro-méditerranéenne, ce logiciel pacifique et démocratique ne fonctionne pas malgré l’inscription de la clause des droits de l’homme dans les traités d’association, comme le démontrent les cas de la Tunisie ou d’Israël.

Ceci dit, dans l’ensemble, et pour les citoyens des pays membres et vivant à l’intérieur, l’espace européen intégré est un facteur de paix et de progrès des droits démocratiques. Ce n’est pas rien, et casser un tel espace, comme le veulent certains souverainistes ou certains fanatiques du néolibéralisme, serait prendre une lourde responsabilité devant l’histoire. Mais la question posée par l’adoption ou le refus du TCE n’est pas celle-là.

Le TCE, seul outil qui nous soit offert aujourd’hui pour la résistance au pire ?

L’Europe a fonctionné comme un espace de prospérité avec, en bonus, un progrès certain dont bénéficiaient les peuples d’Europe à travers les avancées de l’Etat providence, conquises par les luttes et les négociations sociales. Ce modèle n’est plus de mise. Le partage des fruits de la prospérité ne fait plus l’objet de négociations sociales sérieuses car il est soumis aux règles du néolibéralisme, au primat du capital financier, pour le plus grand avantage de certains et la précarisation de quantité d’autres. Dans un texte, à mon sens important, Michel Rocard souligne à ce sujet : « L’Europe s’est initialement fondée sur la liberté des échanges et l’ouverture au monde, ce qui n’avait que des avantages au temps où jouaient encore les trois grandes régulations. Mais il est impossible de revenir en arrière sur ces points maintenant qu’elles ne jouent plus. Du coup, l’Europe subit de plein fouet les conséquences de ces nouvelles règles du jeu, d’autant plus que la volonté des forces politiques dominantes n’est assurément pas d’y résister » [8]. Avant de faire ce constat, il a précisé pourquoi, à son avis, les dirigeants européens n’avaient ni les moyens, ni la volonté de défendre un modèle d’égalité. Fondamentalement parce que, à l’échelle mondiale « les forces capitalistes ont gagné cette manche d’un siècle, stratégiquement et économiquement, en réussissant en plus à faire passer ce message dans toutes les opinions que le capitalisme, ce serait la liberté », et subsidiairement parce que « L’Europe institutionnelle s’est construite sans référence à aucun projet de société, sinon l’élément fondamental mais partiel d’y préserver la liberté d’entreprise et les droits de l’homme ». Et ajoute-t-il, ce sont les « forces politiques définies et enracinées comme nationales qui ont imposé ces nouvelles règles du jeu à cruauté sociale aggravée ». En conséquence, l’Europe demeure le meilleur niveau possible pour leur résister, et éventuellement reprendre un peu de terrain dans le sens de la justice sociale et de l’égalité. Il en tire la conclusion que, malgré ses défauts, le traité constitutionnel européen est le seul outil qui nous soit offert aujourd’hui pour cette fonction de résistance au pire.

J’observe à ce propos que ceux de mes camarades qui partagent ce point de vue (« avec le TCE c’est mieux que sans »), sont pratiquement tous très engagés dans des cadres ou institutions européennes : parlement européen, réseaux divers depuis le Forum permanent de la société civile, ou le Comité européen de liaison sur les services d’intérêt général (CELSIG), jusqu’au Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH). Cela peut se comprendre. Ils savent qu’en matière de droits de l’homme, l’Europe est un levier pertinent. Ils savent plus encore que c’est au niveau européen que se prennent les décisions essentielles, en particulier sur le plan économique, et donc social. Ils savent enfin que les batailles décisives, en matière de droits comme en matière sociale, se mènent à l’échelle de l’Union, et, étant souvent à l’origine de quelques victoires partielles, ils pensent pouvoir utiliser les quelques moyens que donne la constitution comme armes des batailles suivantes. Ils soulignent, par exemple, que la Charte des droits fondamentaux a été écrite à Nice malgré l’opposition britannique, et que l’incorporation au traité constitutionnel des droits positifs qui y sont inscrit est une avancée, malgré ses manques évidents. L’extension des pouvoirs de co-législation du Parlement n’est pas non plus négligeable, de même que la désignation du président de la commission “ en tenant compte des élections au Parlement européen ”, ce qui devrait favoriser un meilleur débat politique à l’occasion des prochaines élections européennes. L’extension du champ du vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres est une bonne chose, de même que la définition, plus fédérale de la majorité : 55% des États représentants 65% de la population européenne (le Traité de Nice qui prévoit un quorum de 72,3 % des voix pondérées au Conseil et d’une majorité d’États représentant, le cas échéant, plus de 62 % de la population...). Si le droit d’initiative des citoyens, fruit d’une action militante au sein de la Convention, se limite à l’ouverture possible d’un débat demandée par une pétition d’un million de citoyens, cela donne aux mouvements sociaux un instrument d’intervention reconnu. A ces avancées instrumentales s’ajoutent quelques avancées idéologiques et politiques, avec l’inscription d’un certain nombre de valeurs et d’objectifs qui seront plus facile à défendre contre des pouvoirs réticents, maintenant qu’ils sont inscrits dans le traité.

Ils nous disent donc : « la constitution ne nous « donne » pas l’Europe sociale. Elle nous donne les moyens de la conquérir », prenons les armes d’un « oui de combat » [9] !

Des moyens consacrés comme objectifs pour verrouiller la logique néolibérale du texte

J’observe également que mes amis « nonistes », comme moi, font en général partie de mouvements et groupes très actifs également en Europe, mais généralement à un niveau moins institutionnel que mes camarades « ouitistes ». Ils savent que chacun des traités européens depuis l’Acte unique de 1986 jusqu’à l’actuel TCE en passant par Maastricht (1992), Amsterdam (1997) et Nice (1999), ont tous contenu quelques avancées plus ou moins significatives en terme de construction d’un espace européen justifiant à chaque fois la position de ceux qui défendaient le « Oui » assorti d’un « mais » car la consolidation démocratique et sociale de cet espace restait à faire. Cependant, à chaque fois, ce « mais » se renforçait au détriment du « oui », à mesure que le centre de gravité de la somme des traités proposés renforçait le poids du néolibéralisme non seulement dans les politiques préconisées, mais plus profondément dans l’idéologie structurante de chacun de ces textes, et cela suivant un processus hélas cumulatif d’un texte à l’autre. De quoi alimenter un sérieux « Mais Non » !

Le TCE inverse-t-il la donne ? Hélas non. Les uns et les autres ont souligné que ce texte pléthorique contenait à la fois une déclaration de principes, de valeurs et d’objectifs et une règle de fonctionnement pour l’union à 25, choses que l’on retrouve habituellement dans un texte constitutionnel, mais aussi une « codification des traités existants », qui eux, définissent pour l’essentiel, les politiques que les Etats de l’union ont décidées de mettre en commun. Ces politiques communes ne se limitent depuis déjà bien longtemps plus aux seules règles du « marché commun » mis en place entre 1957 (traité de Rome) et 1986 (Acte unique), mais définissent des orientations politiques (principalement - mais pas seulement, économiques, et principalement néolibérales), avec des injonctions positives, des interdictions, des omissions explicites. Or le mécanisme du TCE donne à ces règles (et à l’idéologie qui les sous-tend), une force inédite : une consistance juridique renforcée et une légitimité politique sans équivalent depuis le début de la construction européenne. Une consistance juridique renforcée ? Bien entendu les traités antérieurs avaient aussi force de loi, supérieure aux législations nationales. Cette fois-ci, dans le TCE, ces traités, en gros le titre III du TCE, s’articulent avec les objectifs et valeurs définis dans le Titre I. Certaines valeurs du Titre I sont illustrées par le titre III, et le sens des politiques définies par le titre III est éclairé par le titre I. Un exemple, les fameux « objectifs de l’Union » définis par le TCE à l’article 1-3, notamment dans le deuxième paragraphe : « l’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » et le début du troisième paragraphe : « l’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondée sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi et au progrès social et à un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ». Ces affirmations mélangent des objectifs (une espace de liberté, de sécurité et de justice, le développement durable de l’Europe, le plein emploi et le progrès social...) et certains moyens ainsi privilégiés (un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée, une croissance économique équilibrée, la stabilité des prix...). Cet amalgame est curieux, et à l’évidence cette rédaction est le résultat d’un compromis au sein de la Convention. Comment fonctionne-t-il ? Quel sens faut-il donner à « concurrence libre et non faussée », à « stabilité des prix » ou à « économie hautement compétitive » ? La réponse, clairement développée dans les traités antérieurs, est donc maintenant explicitée dans le Titre III du même texte. La mise en œuvre politique par la majorité actuelle (néolibérale) des gouvernements et de la Commission, est maintenant confortée en tant qu’objectifs constituants.

Précisons : personne n’est pour une "concurrence faussée" et je ne crois pas raisonnable de penser qu’une économie administrée refusant tout échange marchand soit souhaitable. Mais les textes des traités antérieurs ainsi constitutionnalisés ont pour effet de considérer que des aides publiques pour sauvegarder l’emploi ou combattre les inégalités pour des raisons d’équilibre social, peuvent « fausser » la concurrence, et que des règles relatives aux droits des travailleurs (un concept ignoré par les objectifs et les valeurs de l’Union) peuvent contrecarrer la logique concurrentielle (objectif de l’Union). Pourtant comme l’un des objectifs du TCE est de « tendre au plein emploi », ne peut-on utiliser cet objectif pour contrecarrer la lecture néolibérale de la « concurrence non faussée » ? Ce n’est guère crédible si l’on dissocie la notion d’emploi des droits des travailleurs (et donc de la nature de cet emploi). Or l’objectif de l’emploi n’est pratiquement pas explicité dans la suite du texte, tandis que l’interprétation néolibérale économique de l’emploi, le primat de la logique de marché sont confortés par de multiples articles de mise en musique [10]. L’ensemble du traité est ainsi profondément déséquilibré : des valeurs et des objectifs positifs en matière sociale, environnementale, démocratique, ne sont que peu ou pas relayés, tandis que des moyens abondamment relayés eux, sont consacrés pour l’occasion comme objectifs à fin de renforcer la logique ultra-libérale déjà présente dans les traités précédents. En d’autres termes, le grave défaut du TCE est moins d’inclure le Titre III dans le TCE que d’inclure le Titre III dans une articulation perverse avec le Titre I. Et le titre II (la Charte des droits fondamentaux) ? Justement, c’est sur la question des droits sociaux que cette charte pêche le plus par omission, et même si le reste contient des droits positifs hautement appréciables, un article II-112 spécifique vient en limiter l’effet (contrairement à ce qui existe pour la politique économique néolibérale qui n’est entravée par aucun article verrou de ce type, mais simplement par la possibilité de « dérogations » nationales éventuelles).

Une légitimité politique renforcée ? Moins parce que le TCE « graverait dans le marbre » des choses qui étaient « peintes sur le ciment » par les précédents traités. Car nous savons bien qu’une plaque de marbre n’est pas beaucoup plus difficile à remplacer qu’une peinture sur du ciment s’il y a une mobilisation politique pour le faire. Or c’est justement cette volonté politique qui manque.

Comparativement à tous les précédents traités, celui-ci, baptisé « constitutionnel », est censé avoir été préparé dans la concertation (la convention), avant d’être négocié par les gouvernements (démocratiques) puis ratifié par les peuples, pour beaucoup par référendum, concluant un vrai débat ! Il est donc clairement défini comme un traité fondateur pour une période historique d’une portée politique bien supérieure aux autres traités. La convention avait été convoquée pour répondre à la critique de plus en plus massive sur le déficit démocratique de l’Union (déficit que le TCE ne résorbe d’ailleurs que très partiellement). Elle avait trois missions officielles : « simplifier les Traités existants, incorporer la Charte des droits fondamentaux dans les traités, aboutir à la rédaction d’une Constitution européenne ». Elle fonctionnait au consensus, méthode permettant d’éviter de clarifier les clivages politiques européens, et, si elle a consulté des ONG, syndicats, groupements patronaux, etc., on ne peut la considérer comme ayant initié un vrai processus constituant. Elle avait toutefois le mérite d’être publique rompant avec les négociations secrètes des traités antérieurs, et ses débats, que chacun pouvait suivre facilement via internet, ont porté essentiellement sur le titre I. L’adjonction « technique » du titre III a été faite, elle, sans débats, par le présidium de Giscard d’Estaing, contribuant, avec des conséquences considérables, à la physionomie générale du Traité (et donc au sens de la réponse à la question posée à son sujet) [11]. Enfin, le Conseil européen du 18 juin 2004, clôturant la Conférence intergouvernementale de Rome a finalisé le texte le 29 octobre, en accentuant certains aspects négatifs.

Le camp du Oui est hégémonisé par ceux qui préparent les abandons futurs

Le TCE donne, c’est vrai, de nouveaux moyens, mais principalement au profit des tenants du néolibéralisme, car ces moyens auront une légitimité politique et une efficacité juridique plus grande que ceux du texte mal foutu de Nice. Au regard de ce vice fondamental, les autres débats sur les aspects positifs ou négatifs du TCE sont de l’ordre de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine [12], sur le plan des avancées démocratiques et civiques et en matière de fonctionnement de l’Union (réelles et insuffisantes), de la politique de défense (ou l’on parle de paix et de militarisme), de la politique environnementale (proclamée et partiellement démentie par les politiques inscrites dans le traité), etc. Ainsi, par exemple, le philosophe italien Toni Negri croit voir une bouteille à moitié pleine dans la mention d’une politique européenne de l’Union, favorisant, par la dynamique qui va peu à peu se développer, un rééquilibrage multilatéral du monde, face à l’hégémonie américaine. Mon impression de terrain, et notamment mes expériences actuelles du Proche et Moyen Orient, des Balkans et du Caucase, me font penser qu’il ne s’agit hélas que d’une illusion et que la bouteille est plutôt vide, qu’il n’y a ni volonté, ni pratique européennes réelles en ce sens. Pourtant, s’il n’y avait que cela, et malgré la naïveté de Toni, il me semblerait possible de faire, sur ce sujet, le pari de la bouteille et de penser qu’en votant Oui on finirait par la remplir.

A l’occasion d’un débat organisé par le parti Vert européen à Dublin en décembre 2004, j’avais défendu ma position contre Dany Cohn Bendit et Monica Frassoni [13] s’évertuent à nous expliquer contre toutes les évidences que le TCE n’est qu’un « cadre neutre » qui ne définirait pas de politique, de l’Euro-myopie d’un Josep Borell [14] qui croit que le débat français n’est que l’expression d’un défoulement contre le gouvernement Raffarin ! Rien à voir avec le « Oui de combat » préconisé par Alain Lipietz ! Le camp du Oui est, comme on pouvait hélas s’y attendre, hégémonisé par ceux qui préparent les abandons futurs. Et ce qui est vrai en France l’est infiniment plus dans certains autres pays européens. Aucune trace du « Oui de combat » dans le discours des socialistes espagnols, à l’occasion de leur référendum venant clore un débat qui ne s’est jamais vraiment développé. Il en va de même, hélas, dans une très large mesure en Italie, au Pays Bas, en Allemagne, sans parler des pays plus périphériques, nouveaux ou vieux adhérents,oùles opinions publiques sontà peine informées du contenu du texte !

Une hirondelle « noniste » ne fait pas le printemps européen

Cela signifie-t-il que tout va bien du coté du Non ? Que mes amis français du « Non de gauche » se sont préparés aux conséquences d’un rejet du TCE au référendum ? Ce n’est à l’évidence pas le cas. Et c’est malheureusement une carence qui vient de loin.

Au moment où cette lettre est écrite, ces amis « nonistes » sont assez euphoriques. La dominante incontestable dans le débat référendaire n’est en effet pas le Non crispé des souverainistes ou haineux de l’extrême droite, et d’ailleurs les ténors du « Oui » doivent s’efforcer de répondre à des arguments progressistes et souvent pro-européens ce qu’ils n’avaient manifestement pas prévu. Le débat sur « la Bolkestein », c’est à dire la bataille contre le néolibéralisme, a heureusement couvert les attendus islamophobes du « noniste » Fabius et du « ouitiste » Bayrou [15]. Attention pourtant, De Villiers et Le Pen n’ont pas disparu du paysage !

Cette dominante du « Non de gauche » dans la campagne ne tombe pas du ciel, elle est le résultat d’une réflexion sérieuse et documentée et d’un travail en profondeur, mené par de nombreux mouvements et associations et notamment ATTAC. Mais une hirondelle « noniste » ne fait pas le printemps européen. D’abord parce que notre Non est aussi encombré de scories souverainistes et d’approximations douteuses. C’est ainsi que certains, au lieu de cibler les vrais enjeux du combat actuel, essentiellement sociaux, attribuent des potentialités catastrophiques au TCE qui sont soit exagérées, soit carrément fantasmatiques. J’en développerai un exemple (parmi d’autres), sur la question de la laïcité. Il était juste, pour des raisons de fond, de refuser que le traité puisse un tant soit peu donner l’impression qu’une loi fondamentale est sous la détermination d’une « loi divine » [16]. Il était absolument nécessaire de refuser dans un tel texte une mention des « sources chrétiennes » de l’Europe qui, quel que soit son fondement historique, n’a pas d’autre sens que d’écarter d’autres sources, d’abord celles des lumières agnostiques ou athées et ensuite celles d’autres religions, musulmane ou juive. De là à croire que la constitution est une menace pour la laïcité parce que son article II-70 sur la liberté de conscience reprend le texte de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (article 18) et de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 (article 9), il y a un grand pas que franchissent pourtant certains « défenseurs de la laïcité », plus précisément ceux qui ne croient pas à l’universalité des droits mais à la vertu de « l’exception française » [17] !

On trouve dans le TCE des dispositions inquiétantes, par exemple sur la tendance à la militarisation de l’Union ou à l’Europe forteresse contre les travailleurs extra-communautaires, mais sans que le TCE constitue en lui-même une arme absolue au service des politiques militaires ou des discriminations : elles n’y sont pas déclinées sous leurs différentes facettes comme c’est le cas en matière économique et sociale. Sur d’autres sujets où les compromis du TCE sont éventuellement problématiques, la politique de genre et les droits des femmes, les questions de démocratie interne, la politique de coopération, etc., il y matière à débat, et dans de nombreux cas, si l’on se rapporte à la situation de la majorité des pays membres et non à la seule situation française, progrès.

Le problème principal, du coté du Non progressiste, est surtout la légèreté, pour ne pas dire l’irresponsabilité, avec laquelle certains militants évacuent la question de la mobilisation européenne pour obtenir quelque chose de meilleur que le TCE refusé. L’argument des « ouitistes » selon lequel les néolibéraux les plus radicaux se passeront avec plaisir du TCE, et, sur la base des traités alambiqués actuels, continueront de réduire toute velléité « d’Europe autrement », ne doit pas être rejeté à la légère. Pour pouvoir rejeter le chantage anti-non que constitue cet argument il faut être capable de tenir compte du fait que les néolibéraux disposent d’armes réelles pour marginaliser le « Oui de gauche » en soulignant qu’à l’échelle européenne le Non n’est pas progressiste. Il est très majoritairement nationaliste de droite ou d’extrême droite, par exemple, en Pologne ou en Angleterre, ultralibéral en République Tchèque, dit « de gauche » mais profondément souverainiste en Suède, voire « communiste » mais ultranationaliste en Grèce. Bref, et dans tous ces cas, sans aucun rapport avec le Non que mes amis et moi préconisons.

Bien entendu notre « Non progressiste » n’est pas totalement inexistant en Europe. Et certains font des efforts pour le valoriser et le développer à l’échelle continentale (par exemple dans le réseau d’ATTAC, les organisations de droits de l’homme, certains syndicats et certains mouvements sociaux). Mais ces efforts sont relativement faibles et surtout tardifs. Le déficit de mobilisation sur la base d’une critique de gauche par rapport au TCE, et plus généralement au mode de construction de l’Europe est ancien et profond.

Lors du premier Forum social européen de Florence, en 2002, alors même que commençait la discussion du futur TCE, le débat à ce sujet était complètement marginal, alors que nous vivions le plus grand rassemblement progressiste en Europe depuis des décennies [18] ! Et cela malgré les efforts de quelques militants français ou belges dont la voix ne portait guère plus que celle des eurosceptiques souverainistes, ou nationalistes déguisés en marxistes, dans l’indifférence de la grande majorité des participants. Lors du contre sommet très réussi organisé en 2003 à Thessalonique, au moment même où Giscard d’Estaing présentait son projet de TCE aux chefs d’Etats et de gouvernement d’Europe, la situation n’avait pas progressé. Les séminaires fort intéressants organisés par le Forum social de Paris Saint Denis en 2003, ou plus marginalement par celui de Londres en 2004 ne permettaient pas hélas de constater un changement de tendance dans la majorité des milieux militants européens ! Indifférence et souverainisme demeurent encore dominant, même si le débat « à la française » a fait quelques progrès !

Pourtant, au milieu des années 90, les choses semblaient bien engagées. Après le débat sur Maastricht et la courte victoire du Oui lors du référendum français, la mobilisation et la réflexion sur la manière de construire l’Europe avaient progressé. Cela pouvait se constater en observant les actions réussies des « Marches européennes contre le chômage », les mobilisations syndicales et le débat dans la Confédération européenne des syndicats et certains travaux des ONG, autour du traité d’Amsterdam, et lors de la grande manifestation pour peser sur ce traité, à Amsterdam, en 1996. Cet élan encore sensible en 1998, s’est dilué par la suite, notamment parce que bien des mouvements ont préféré à la difficile maîtrise des sujets européens qui concernaient pourtant leurs membres dans leurs vies quotidiennes, les mobilisations beaucoup plus simples contre le Bushisme et la guerre, par ailleurs très justifiées, mais loin des difficultés du terrain quotidien.

L’organisation d’un mouvement politique concerté pour une Europe plus sociale, plus égalitaire et plus ouverte sur le monde, a échoué alors même que se déroulaient d’imposantes mobilisations altermondialistes dans une majorité des Etats membres de l’Union ! Et si la Convention qui rédigeait le projet de TCE n’était pas un modèle de démocratie, la faiblesse de la mobilisation militante pendant son déroulement public n’offrait pas le spectacle d’une forte détermination, que ce soit pour tenter d’en infléchir le sens, ou simplement pour dénoncer les offensives néolibérales qui s’y succédaient. A l’exception de quelques réseaux, c’était plutôt une passive démonstration d’inconscience. Certains ont même théorisé cette absence croyant que l’indifférence était une arme ! Pour avoir la moindre chance d’obtenir demain des résultats plus favorables que ceux qui résultent des reculs antérieurs, pour donner tort à nos amis « ouitistes » qui préfèrent engranger de maigres résultats plutôt que de repartir à l’aventure, il faudra absolument avoir compris les raisons de ces échecs depuis une dizaine d’années.

L’alliance progressiste européenne de la saint Ferdinand

La bataille qui suivrait une éventuelle victoire du Non serait celle de la renégociation. Or, quelle que soit l’ampleur du séisme provoqué par cette victoire, ou justement à cause de cette ampleur, les gouvernements vont s’efforcer d’en empêcher le développement. Et les ultra du néolibéralisme vont tenter de noyer le message du Non progressiste et européen dans le bruit de fond du Non réactionnaire et anti-européen (que l’on va entendre haut et fort dans la campagne législative anglaise par exemple et qui va être claironné dans la dernière phase de la campagne référendaire française). Dès la saint Ferdinand - en fait ce devrait déjà être le cas depuis que la victoire du Non est devenue une hypothèse crédible en France - tout doit être mis en œuvre pour construire ce qui n’a pas été construit au moment de la Convention : l’alliance progressiste qui milite contre la politique de la Banque centrale européenne, pour un budget européen en hausse qui permette des politiques de solidarité et non des politiques de dumping social, pour l’indépendance de l’Europe et sa contribution à un monde multipolaire mieux régulé, plus équilibré et solidaire, etc. Ce qui va être tout de suite en jeu, c’est la construction du noyau dur de forces européennes de progrès qui, à l’évidence, ne correspond ni aux clivages partisans, ni aux clivages nationaux. Et cela n’est pas simple car de très nombreux militants qui s’imaginent porteurs d’un Non de gauche demeurent frileux et limités au champ national, ce qui signifie qu’ils ne sont tout simplement pas disponibles.

La bataille qui suivrait une victoire étriquée du Oui n’est pas moins complexe. Dès la Saint Ferdinand - en fait ce devrait déjà être le cas tant qu’une victoire à l’arraché du Oui demeure une hypothèse crédible en France - on aurait pu penser que les partisans d’un « Oui de combat », au lieu de répéter que toute idée de renégociation est impossible, allaient concentrer leurs efforts sur les Bastilles à prendre pour lesquelles ils pensent que le TCE fournit quelques échelles : la politique de la Banque centrale européenne, le budget européen étriqué qui ne permet pas des politiques de solidarité et favorise des politiques de dumping social, la dépendance de l’Europe et son absence de contribution concrète à un monde multipolaire mieux régulé, plus équilibré et solidaire, etc. Nous avons vu que l’ébranlement causé par le petit Oui au référendum français de Maastricht avait favorisé une mobilisation progressiste en Europe, mais que cette mobilisation n’avait pas été féconde, notamment que tout avait été mis en œuvre pour faire « oublier » cet ébranlement. Les militants sincèrement engagés dans la logique du « Oui de combat », verts, syndicalistes, socialistes, certains altermondialistes de divers pays, doivent savoir qu’en cas de « divine surprise » d’une victoire du Oui le 29 mai, leur bataille sera tout simplement impossible le « jour d’après » si elle est menée aux conditions fixées par la campagne « ouitiste » d’un Jack Lang et en tournant le dos aux forces vives qui constituent l’aile non-marchande du Non.

L’avenir de l’Europe ne sera peut-être pas autant qu’on le croit, déterminé par les résultats acquis au soir de ce dimanche 29 mai qui est, dit-on, le jour de la fête du saint Sacrement et de la fête des Mères, ni l’un ni l’autre des symboles très exaltants pour l’Europe. Il se jouera peut être davantage le lendemain matin, avec ce qu’auront fait et ce que voudront faire les militants, pour être capable d’agir dès le jour de la Saint Ferdinand [19]. Il faudra, cher(e)s ami(e)s, se lever tôt, car l’avenir de l’Europe en dépendra.


Voir en ligne : À propos de la saint Ferdinand


Bernard DREANO est président du Cedetim et coprésident du réseau international Helsinki Citizens’ Assembly


[1Agenor est ce roi de Phénicie dont la fille, Europe, fut enlevée par Zeus. L’association Agenor, dont je parle est celle qui a été créée par des militants travaillant dans les instances européennes à Bruxelles dans les années 1970. Elle a été à l’origine de divers regroupements de réflexions et d’actions, en particulier au moment des premières élections du parlement européen au suffrage universel. L’une de ces actions fut une mémorable « contre-eurovision » organisée en 1979.

[2La mouvance END, rassemblée autour de l’appel Russel pour le désarmement nucléaire en Europe (1980) s’est manifestée notamment dans les réunions annuelles de Conventions END, préfiguration des Forums sociaux actuels, qui se sont tenues de 1982 à 1992 à Bruxelles, Berlin, Pérouse (Italie), Amsterdam, Evry, Coventry, Lünd (Suède), Vitoria (Pays Basque), Helsinki et Tallin (Estonie), Moscou et Bruxelles. Le réseau pour un dialogue Est Ouest qui s’est constitué après la convention END de Pérouse en 1984, est à l’origine d’un mémorandum « donner vie aux accords d’Helsinki » écrit par des centaines de militants d’Europe de l’Ouest et de l’Est et rendu public à Vienne en 1986. Il anticipait sur la chute du mur de Berlin.

[3Le réseau Helsinki Citizens’ Assembly, fondé à Prague en 1990, comme lieu d’initiative et de débat des sociétés civiles, s’est particulièrement investi dans les zones de conflits et de tensions du sud-est de l’Europe, Yougoslavie, Caucase, etc. Sa branche française est l’AEC (Assemblée Européenne des Citoyens).

[4Les conférences inter-citoyennes européennes (CIC) ont regroupé des militants d’une quinzaine de pays pour réfléchir ensemble sur la construction européenne. Elles ont tenu une dizaine de session durant la seconde moitié des années 90.

[5Cf. les documents de travail du groupe Europe du Cedetim, notamment « Au-delà de l’orage : construire l’Europe que nous voulons. Ou comment disposer quelques pierres pour passer le gué » (mai 2003) ; Bernard Dreano : « Anatomie d’une impuissance. A propos de la politique étrangère de sécurité commune et de la question de l’Europe puissance » ; Marc Mangenot « L’Europe sociale, de la liberté et de la paix » » (mai 2004) ; Dominique Taddéi « Une autre coordination des politiques économiques et sociales est urgente et possible en Europe » (avril 2004).

[6Ces questions ont été des thèmes de travail permanents du Cedetim, de l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs, et aussi du Forum des Citoyens de la Méditerranée actif à la fin des années 90.

[7Cf. Bernard Dreano : « Au delà de l’orage, construire l’Europe que nous voulons. Ou comment disposer quelques pierres pour passer le gué ». Texte introductif au séminaire du 23 mai 2003, organisé par le Cedetim, l’AITEC et l’AEC au Parlement européen, dont les actes sont disponibles sur le site du CEDETIM.

[8Michel Rocard : « De l’Europe, du socialisme et de la dignité », Le Monde, 22 septembre 2004.

[9Alain Lipietz : « Elite du non, peur de l’Union », Libération, 18 avril 2005.

[10Sur ce point cf. en particulier Arnaud Le Chevalier et Gilbert Wasserman La constitution européenne. Dix clés pour comprendre, ed. La Découverte, 2005, en particulier le chapitre 6.

[11Le titre IV (fonctionnement) a été également inclus sans débat.

[12cf. Bernard Dreano, « L’Europe et la question de la bouteille », septembre 2002.

[13Les deux co-présidents des Verts européens.] qui s’étaient évertués à me convaincre (ou plutôt à convaincre l’assistance, en majorité déjà convaincue d’ailleurs) qu’il fallait voter Oui « puisque le TCE était mieux que Nice ». Un militant du syndicat allemand DGB m’avait alors donné un argument « ouitiste » beaucoup plus intéressant : « ilyadesleviersdans cette constitution, et à la Confédération européenne des syndicats, nous sommes en train de faire un texte qui indique toutes les contradictions du texte et tous les moyens d’utiliser certains articles contre d’autres ». Curieusement il n’avait pratiquement pas développé cette problématique publiquement, se contentant de souligner à quel point le TCE prenait en compte « l’Europe sociale », et ne m’avait expliqué cette stratégie de subversion du TCE qu’une fois la réunion terminée. Et je n’ai toujours pas mis la main sur ce fameux document. La Confédération européenne des Syndicats avait formulé sept objectifs dans la perspective du TCE, rassemblée dans une proposition pour une « Union sociale avec une gouvernance économique européenne » : économie de marché sociale dans les objectifs de l’Union ; plein emploi dans les objectifs de l’Union ; gouvernance économique européenne ; développement économique et social durable ; intégration de l’emploi dans les grandes orientations de politique économique ; vote à la majorité qualifiée dans le domaine fiscal ; croissance, investissement, emploi comme objectifs de la banque centrale européenne. Les deux premiers ont été intégrés dans les conditions équivoques déjà évoquées, les autres ont été repoussés, en particulier la nécessité d’un minimum de gouvernance économique et d’une véritable harmonisation fiscale empêchant le dumping déstabilisateur. Le propre d’un syndicaliste avisé est de prendre ce qu’on lui donne et de demander plus... mais les forces majoritaires de la CES, toutes occupées qu’elles sont à faire adopter la constitution pour l’Europe, n’ont guère fait d’effort pour cibler ses contradictions et indiquer les failles dans lesquelles il faudrait s’engouffrer pour aller dans le sens des sept objectifs proposés une fois le traité adopté.

Nous avons vu que le rapport de force défavorable est inscrit dans l’équilibre même du texte du TCE. Admettons qu’il soit possible de le renverser avec les moyens mêmes du TCE. Cela suppose une intense pédagogie mobilisatrice, un ciblage des objectifs, une affirmation très forte du caractère contradictoire du texte et de la volonté populaire d’en imposer sa propre interprétation dans le sens souhaité. Bref une campagne qui, en dehors de quelques Verts, quelques syndicalistes et un ou deux autres ratons laveurs sympathiques, n’est absolument pas celle des « Ouitistes de gauche » dans leur ensemble. Le ton dominant est celui de l’euro-béatitude d’un Jack Lang qui nous explique qu’il faut voter oui parce que c’est l’avenir, de l’euro-cécité de ceux qui, comme mon ancien compagnon Jo Leinen[[Jo Leinen, membre allemand du parlement européen, président de l’Union des fédéralistes européens, est un ancien animateur des mouvements de paix indépendants des années 1980. Cf. France 2 le 11 avril 2005.

[14Josep Borell, président espagnol (socialiste) du parlement européen. Cf. le Monde 10 avril 2005.

[15Je dis bien « islamophobes », car l’un comme l’autre s’opposent à la seule Turquie considérée comme non européenne (elle est pourtant membre fondatrice du Conseil de l’Europe en 1949), à laquelle ils proposent un statut d’associé privilégié (déjà acquis en même temps que la Grèce en 1963), et pas à la Bulgarie ou à la Roumanie qui posent des problèmes similaires.

[16Un certain nombre de constitutions européennes évoquent ainsi l’autorité divine soit de manière très marginale (dans le serment constitutionnel du roi des Pays-Bas par exemple), comme simple référence dans les constitutions polonaises ou allemandes (promulguées « devant Dieu et devant les hommes »), ou de manière solennelle, comme la constitution irlandaise ou la constitution grecque toutes deux promulguées « au nom de la Sainte Trinité ».

[17L’offensive « chrétienne » de certains Polonais et Irlandais, comme la contre offensive « laïque » de certains Français, sont d’abord des manifestations de cultures nationalistes.

[18Cf. Bernard Dreano ; « Quelques réflexions sur l’Etat du débat à propos de l’Europe », janvier 2002.

[19Saint Ferdinand III « le confesseur » (1198-1252), roi de Castille et de Léon et grand adversaire des musulmans d’Espagne n’est pas non plus un symbole idéal. Ce jour là, si vous préférez, est aussi le 11 prairial de l’an 213 de la République, jour de la Fraise.